4/ Prise de décision

J

’avais écrit il y a quelques temps un post un peu philosophique sur la décision, sa genèse et le triptyque qui la détermine de mon point de vue. Souvenez-vous, cela s’appelait ‘Le dilemme de l’âne’.  Cette préoccupation est toujours mienne, je le concède volontiers. Une recherche constante dans l’espoir peut être vain de ne pas finir comme l’âne du Buridan!

Une question d’une grande actualité aujourd’hui au regard des temps incertains, de l’importance des décisions prises ou à prendre et surtout des mécanismes qui président à leur élaboration. Les éléments discutés dans ce précédent écrit recouvrent ce qui me paraît essentiel dans la prise de décision, en particulier :

- le sujet, ce qui le détermine comme l’expérience subjective, l’affirmation du désir et les valeurs, fondement de l’être ;

- l’objet, qui bien qu’en extériorité, constitue en réalité une construction-représentation de l’environnement tel que perçu par le sujet ;

- le projet qui manifeste l’expression et la récurrence de nos choix, créant de fait notre propre déterminisme.

Ces éléments constitutifs peuvent s’appréhender tout autrement à travers ce que la psychologie sociale appelle biais cognitifs. Finalement cela explique beaucoup de choses : les décisions absurdes, la persistance dans l’erreur... en la matière personne ne semble être à l’abri. Que ce soit les grands de ce monde et leur prétention à incarner l’action humaine et façonner le destin des nations, ou le commun des mortels -vulgum pecus, je n’ai pas dit servum pecus!-  pour les décisions et les tracas du quotidien qui font le sel et de la vie.

Nous ne pensons pas comme nous pensons penser ! Notre cerveau se construit en permanence une représentation du monde un peu simplifiée, use de perceptions erronées, se détermine sous influence, se fait des idées fausses sur ses capacités et surtout,  il va au plus vite… c’est en tout cas la thèse développée par le psychologue et économiste Daniel Kahneman, prix Nobel d’économie en 2002, et le psychologue Amos Tversky dans leurs travaux sur les biais cognitifs et la dichotomie observée entre deux modes de pensée : le système 1 -instinctif et émotionnel- et le système 2 -réfléchi et logique-.  C’est d’ailleurs la prédominance du système 1 dans les processus décisionnels qui ressort de leurs travaux, mettant à mal la théorie dominante alors, d’acteurs économiques -vous et moi- se déterminant en toute circonstance de façon rationnelle pour des solutions optimisées et argumentées qui visent à maximiser leurs gains.

Face à des situations inédites ou complexes, le cerveau humain cherche à simplifier la prise de décision et use de “raccourcis” qui constituent autant de risques de biais et nous écartent de façon souvent inconsciente du schéma rationnel censé guider nos choix et nos décisions. Je ne passerai pas en revue l’ensemble des biais cognitifs qui interviennent pour régir nos prises de décisions -j’en ai recensé une bonne trentaine- mais certains sont d’une telle acuité pour la crise sanitaire et son traitement que la logique de ce post s’en trouverait biaisée si j’en faisais abstraction. Jugez-en !

Le biais de confirmation, le plus courant de mon point de vue, également dénommé biais de confirmation d'hypothèse, est le biais cognitif qui consiste consciemment ou inconsciemment pour nous à favoriser le cadre de référence qui confirme nos idées ou hypothèses et, a contrario, discrédite celui qui les contredisent ou joue en défaveur de nos conceptions. Le prisme que procurent désormais nos errances sur internet - ou le sérail auprès du décideur- n’est pas de nature à nous procurer une quelconque clairvoyance en la matière, bien au contraire !

Le biais de persévérance, qualité honorable à première vue, sauf quand il s’agit de persister dans une décision qui s’avère être une erreur. Les anglo-saxons appellent cela le “plan continuation error”. J’ai trouvé un effet très semblable pertinemment appelé escalade d’engagement, peut être à l’adresse des dirigeants, il faut bien nous distinguer de l’élite ! C’est aussi une façon de souligner un effet bien plus marqué au niveau collectif qu’individuel. Cela dit, on sait déjà depuis Sénèque que Errare humanum est, perseverare diabolicum!

L’effet de confiance ou le biais de Dunning et Kruger, du nom de ceux qui en ont rendu compte -un biais qui aurait pu s’appeler plus avantageusement le biais Trump- : une très grande majorité de personnes pensent que leurs compétences sont bien au-dessus de la moyenne.  Une surestimation des compétences acquises empêche d’aller s’informer, documenter et argumenter une décision. C’est effectivement parfaitement inutile quand on a le savoir infus. Aristote ne disait-il pas qu’on ne cherche pas ce que l'on sait déjà ! Ce biais est d’ailleurs assez proche du biais d’autocomplaisance -celui-là doit être quasi-universel- : il exprime la tendance que le décisionnaire aurait -c’est bien sûr au conditionnel !- de s'attribuer le mérite de ses réussites et d’attribuer ses échecs à des facteurs extérieurs défavorables. C’est, comme chacun sait, toujours une histoire d’adversité !

La gestion de la crise sanitaire révèle au grand jour nos propensions certaines à la croyance hasardeuse et la rationalité incertaine. On peut aussi avoir opportunément “l’humilité” de le reconnaître !

Un dernier petit mot sur le biais d’optimisme -ou d'optimisme comparatif-. Allez savoir pourquoi, le décisionnaire s’estime toujours moins bien exposé à un événement négatif que les autres personnes. Exemple pris au hasard : le risque de contamination. En période de déconfinement, il faudra au surplus compter avec l’effet Pelzman : il s’agit en substance du sentiment de sécurité que procure un artefact quel qu’il soit -un masque par exemple-, ce qui entraîne des décisions de compensation de risque et donc une plus grande prise de risque -moins de distanciation sociale par exemple !-

Bref, la preuve est faite, et c’est le Quatrième constat de crise, qu'en matière de prise de décision, nous sommes tous, le peuple comme l’élite,  de “fieffés farceurs…”, raison pour laquelle, comme l’a souligné Cioran avec son ‘éternel optimisme’, “…nous survivrons à nos catastrophes.”

 Hakam EL ASRI

 



Pour aller plus loin sur les biais cognitifs:

Wikipédia

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Commentaires: 1
  • #1

    Patrick M (mercredi, 13 mai 2020 16:32)

    On ne survit pas toujours à ses catastrophes: début mai 1902 à Saint-Pierre de Martinique, les scientifiques sont rassurants, le gouverneur Mouttet vient s'installer avec sa femme dans la ville pour prouver qu'il n'y a aucun danger et que la peur ne doit pas dissuader les habitants de voter le 11 au second tour des législatives.
    Le 8 mai à 8h02 du matin l'éruption du volcan de la montagne pelée tue les 30000 personnes présentes sur place dont le gouverneur.