ne question légitime : la crise sanitaire que nous vivons aujourd’hui permettra-t-elle l’apparition d’une nouvelle conscience du monde et plus particulièrement la conscience que l’humanité entière est embarquée dans une forme de destin commun ? Cette question n’est pas nouvelle. Elle surgit à chaque fois que l’humanité se trouve confrontée à une crise majeure. L’ambition qu’elle porte avait été en grande partie confiée au système multilatéral international, dont les prémices ont vu le jour après la deuxième guerre mondiale pour faire en sorte que ce type de catastrophe ne se reproduise plus. Le système multilatéral -inter-étatique malgré le “nous, les peuples” qui se trouve en préambule de sa charte - avait donc été conçu dans le cadre du projet optimiste d’une paix planétaire avec : 1/ une structuration qui reste fondée sur la contribution des seuls états souverains -quasiment pas de représentation des sociétés civiles- et 2/ des principes fondamentaux d’égalité -un état, une voix- et de non-ingérence.
L’instauration de ces principes initiaux a fait que les préoccupations du système multilatéral sont longtemps restées cantonnées à ce que les Anglo-Saxons appellent the high politics, autrement dit les affaires de souveraineté et de sécurité nationale, par opposition à the low politics qui intègrent les aspects économiques et sociaux ou tout autre problématique de nature domestique, y compris sanitaire.
Depuis, l’ossature du système multilatéral a évolué et s’est diversifiée dans la mesure où, au fil du temps, les interactions entre les états du monde devenaient de plus en plus complexes et la démarcation entre the high politics et the low politics devenait de plus en plus floue… il était devenu nécessaire de procéder à un réexamen du concept et de la pratique du multilatéralisme, sans pour autant remettre en cause certaines "particularités" du système multilatéral. Les règles écrites restaient favorables aux nations dominantes, elles sont, de fait, ratifiées par les autres états et érigées en textes internationaux : un ordre international basé sur le droit du plus fort mais un droit tout de même ! Les institutions multilatérales restaient dépendantes des grandes puissances à qui elles servent plutôt d'instruments au service de leur ambition politique en propre tout en jetant un voile d’entente internationale sur la marche du monde. Cela nous a valu des temps de guerre froide entre blocs antagonistes et des pays tiers, états faibles et périphériques, "courageusement" Non-alignés !
Mais cette période est bel et bien révolue (?) Un nouvel ordre mondial allait se mettre en place avec l'effondrement du bloc Est. L’émergence d’espaces d’intégration régionaux, la montée en puissance de certain pays avec des velléités d’incarner le rôle de puissances régionales voire mondiales, la fronde des sociétés civiles et la résurgence des particularismes territoriaux ont instauré au fil du temps une nouvelle donne. Une situation asymétrique s’est faite jour, les nations dominantes n’étaient plus en capacité de multilatéraliser leurs options. La nation dominante -incarnée désormais par les Etats-Unis- face au reste du monde, c’est parfois le reste du monde qui gagne ! Cela n’est pas pour plaire. La règle de “l’intérêt mutuel bien compris” qui a présidé aux rapports multilatéraux devenait d’un coup une entrave à la liberté d’agir. Le retour à la négociation bilatérale semblait une "nouvelle meilleure option" pour la nation dominante. Il est vrai qu’entre temps a émergé le concept de smart power qui de toute évidence n’était pas conciliable avec le multilatéralisme. Le smart power incarne le mix entre deux stratégies à première vue antinomiques et peu opérantes isolément : d’un côté le soft power -capacité d’attraction par la persuasion- et de l’autre le hard power -pouvoir de coercition par la force ou la menace de la force-. C’est Theodore Roosevelt qui, bien avant Obama, préconisait en substance “quand vous tenez un gros bâton, vous pouvez vous permettre de parler gentiment” ! Propos qui incarne parfaitement la notion du smart power et qui fonctionne à merveille dans un cadre bilatéral. Mme Clinton parlait de la” bonne combinaison d’outils, adaptée à chaque situation”. La dynamique isolationniste de M. Trump va prolonger et approfondir la nouvelle doctrine américaine. Dès lors, America First commandait d’entreprendre avec constance et détermination la déstabilisation du multilatéralisme. Redéfinir les relations internationales consistait simplement à déconsidérer le travail des institutions multilatérales et gripper leurs rouages. Nul besoin de revenir sur la multitude d’illustrations possibles qui ont autant concerné l’ONU que ses programmes ou agences (OMC, UNESCO, FAO…), le FMI, la Banque Mondiale, la dénonciation des accords commerciaux de libre-échange, jusqu’au retrait de l’accord de Paris sur le climat et la récente mise en cause de l’OMS dans sa gestion de la pandémie.
Ainsi, dans le Theatrum Orbis Terrarum : théâtre du monde de notre création, et face aux défis du temps présent, les éléments normatifs qui devraient nous amener à travailler ensemble pour la paix, la démocratisation, le bien-être collectif, la protection de l’environnement (…) et élaborer des actions concertées avec un principe de solidarité internationale, sont aujourd'hui à la main d’un système multilatéral aux abois. Un système multilatéral décrié, déprécié, incapable d'adapter ses principes fondateurs et qui, dans le meilleur des cas, reste voué au maintien du statu quo médiocre.
Dans une période d'ambivalence et d'incertitude, une époque de complexité et de transitions rapides (VUCA world : Volatility, Uncertainty, Complexity and Ambiguity), il semble difficile de croire que le dispositif de “gouvernance du monde” puisse se renouveler, s'adapter et adopter les nouvelles valeurs autour desquelles devraient se construire les relations internationales.
Unus homo, nullus homo : seul on n’est rien, c’est bien de la conscience de l’intérêt commun, voire du destin commun, que devrait venir le moteur de la coopération internationale. Edgar Morin ne dit pas autre chose quand il déplore que la mondialisation se soit faite dans une "interdépendance sans solidarité et qu’une communauté de destin ne peut se concevoir sans communauté de desseins".
Troisième constat de crise, nous sommes loin -un euphémisme ?- de cette quatrième humanité1 qu’Edgar Morin appelait de ses vœux.
1Selon Edgar Morin, la première étant celle archaïque des chasseurs-cueilleurs ; la deuxième une humanité d’agriculteurs ; la troisième actuelle l’humanité planétaire.
Hakam EL ASRI
Lire constat de crise 1/ Toile
Lire constat de crise 2/ Gouvernants
Lire constat de crise 4/ Prise de décision
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noack (lundi, 04 mai 2020 10:58)
Bonjour Hakam ,je viens de lire tes textes je suis en total accord avec toi et espère que après cette pandémie nous nous interrogerons chacun sur le changement de nos comportements .La conscience humaine doit s'ouvrir à la véritable compréhension de, soi ...nos politiques le feront ils ...??amitiés