Le collectif aujourd’hui

C’est à Ferdinand Tönnies que nous devons la distinction entre “communauté” et “société”. Celui-ci opposait deux types de rapports sociaux qu’il désignait respectivement comme communauté -Gemeinschaft- et société -Gesellschaft-. Pour la première, il parlait de proximité culturelle et spatiale. La seconde, quant à elle, restait pour lui le théâtre de l’individualisme avec pour essence l’intérêt personnel plutôt que l’intérêt général.

Une dichotomie par trop tranchée dont il convient aujourd’hui de réinterroger le fondement à l’ère de l'homo digitalis en particulier, en considération de la place toujours grandissante que prennent les réseaux sociaux.

Si les communautés ont pour soubassement la particularité de ce qui est commun -ou supposé tel- certaines se sont désormais affranchies de la proximité spatiale et se sont grandement émancipées de l’acquaintance culturelle vers des communautés intentionnelles qui se donnent des objectifs, des doctrines et des règles en propre. L’action est néanmoins préformatée par la structure du réseau et n'a parfois pour objet que le réseau lui-même.

C’est la multitude qui fait la force ou la puissance de ce type de communautés. Celle-ci se construit par association de maillons qui se caractérisent par des interdépendances nouvelles qui les amènent à dialoguer et à interagir.  L’interpersonal trust  (confiance interindividuelle) est, dans ce cadre, d’une importance capitale pour tisser le lien et renforcer la cohésion de la communauté. Une dynamique qui préside à la création de communautés d’un nouveau genre à l’instar de Anonymous ou, sur un tout autre registre, Daech.

On pourrait supposer qu’à terme, la reconfiguration des concepts connexes à la communauté des citoyens comme état ou nation soit à prévoir... La substantivité de la communauté intentionnelle est cependant à nuancer, l'émergence du réseau social ayant eu une incidence forte sur le mode d’organisation du collectif. On a beaucoup parlé des effets se rapportant à la décentralisation et l’aplanissement des modes d’organisations. Il convient de mentionner d’autres éléments tout aussi importants:  le mode organisationnel en réseau est nécessairement évolutif et est souvent hors contexte, fait d’assemblages temporaires, de changements de configurations, de buzz… Il n’y a donc pas d’organisation structurante ni de garantie de pérennité.

Les réseaux sociaux créent en réalité leur propre espace de sociabilité qui ne semble pas entamer -à ce jour- la sociabilité classique avec des liens forts. De fait, le réseau social entraîne une extension et un élargissement du champ mais reste cantonné à ce qui est communément appelé les liens faibles et crée une sorte d’espace transitionnel entre l’espace privé et l’espace public. De la sorte, l’internet relationnel participe de l’affaiblissement de la frontière entre ces deux espaces. S’il est vrai que la question du lien, qu’il soit virtuel ou réel, repositionne notablement la question du collectif, les évolutions restent ambiguës, les manifestations et les expressions encore trop disparates. Cela ne devrait d’ailleurs pas trop nous étonner, il n’y a qu'à considérer la gradation entre le lien faible et le lien fort .  Faut-il rappeler que le lien -au sens classique- recouvre une multitude de significations qui vont de ce qui relie et crée l’alliance jusqu’à l’attache qui entrave et enchaîne.

Hakam EL ASRI


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